Ce n’est pas mon histoire que je raconte.
Là où j’ai grandi, mangé le blé dur, où je me suis grattée la peau pendant les fenaisons. La joie d’une petite place sur un tracteur, de boire le lait encore chaud de la vache, de deviner, la tête dans les nuages, le temps des prochains jours, sentir la chaleur fumante des vaches dans l’écurie. Ça, c’est la vision d’une enfant et de son terrain de jeux.
Celle des adultes, c’est le travail qui commence tôt, et finit quand tout le monde est couché. C’est le corps qui lâche, qui meurt petit à petit. C’est l’évacuateur qui est tombé en panne, encore. La question de : va-t-on appeler le véto pour un veau qui ne vaut que quelques sous ?
C’est une histoire qui ne fait pas de bruit. Les gens de là-bas, taiseux qu’ils sont, n’ont pas le temps pour ça. C’est le courage qui ne sert à rien, et le travail qui ne rapporte que de la douleur. Le problème de cette histoire, c’est qu’elle ne fait pas assez de bruit.
C’est la mort d’un monde qui, inévitablement, doit mourir.
Les pylônes électriques nous mènent vers des hameaux qui autrefois avaient dû se faire appeler « village ». Aujourd’hui vaincus par l’éloignement de la ville, ils sont devenus des tas de pierres et de crépis grisâtres.
Celle qu’on nomme « LA ville », n’est pas la capitale. Elle est les 18 000 habitants situés à une heure de route. Il faut dire que Paris, la mer, les grèves, n’existent qu’à travers la télé.
Ceux qui sont restés sont trop vieux et trop malades pour partir, ou trop têtus. D’autres semblent avoir de l’espoir : celui de pouvoir un jour gagner leur vie et de croire que tous les efforts n’auront pas été faits en vain.
Au milieu de tout ça, il y a des Hommes et des bêtes.
Du silence, du sang et de la merde.
“viande” parle de cette histoire oubliée du monde paysan, de notre rapport à ces corps meurtris d’hommes et de bêtes d'abattoirs.
Le veau est l'unique sujet de cette série. Un animal sans valeur, un produit d'industrie. Ici découpé, étiré, ré-assemblé, sa valeur esthétique s'impose, s'humanise parfois.
Le veau, c'est un destin tragique.
Celui d'une chair qui restera viande.